Pour une poignée de mètres carrés, un immeuble de Jean Nouvel en construction à Rennes risque fort de se faire raboter, des voisins accusant l'architecte de renommée mondiale d'obstruer leur champ de vision.
« Cap Mail« , un bâtiment de 12 étages qui doit être achevé au deuxième semestre 2014, a commencé à s’élever sur les bords de la Vilaine, dépassant déjà en hauteur un petit immeuble de quatre étages avoisinant.
« Avant, on voyait toute la vieille ville, les tours de la cathédrale et même au-delà », se désole une habitante du 9, mail François Mitterrand, devant sa grande baie vitrée désormais obstruée sur sa gauche. Fin mars, quatre propriétaires de l’immeuble ont assigné en référé les Ateliers Jean Nouvel, affirmant qu’une « servitude de vue » interdit de construire à moins de 1,90 mètre d’un immeuble existant. Or, le bâtiment en construction jouxte l’ancien de moins de 2 cm.
L’avocat des plaignants exige donc la démolition des mètres carrés qui dépassent. La procédure traîne en longueur : après plusieurs reports, les parties ont à nouveau demandé mercredi à la justice un délai de trois à quatre semaines, vraisemblablement pour conclure des négociations. Une nouvelle audience a été fixée au 19 juin devant le tribunal de grande instance de Rennes.
Le futur immeuble comptera 45 appartements de 40 à 300 m², vendus au prix moyen de 7 500 euros le m², cher pour la ville. Si les plaignants obtiennent gain de cause, quatre m² sur quatre niveaux devront être détruits, soit 16 m² sur un total de 5 300 que comptera le futur immeuble.
Trente ans que ça dure
Le futur bâtiment, élégant et très aéré, affecte la forme d’un cap ou d’une proue de navire sur cette parcelle restée vide pendant trente ans en plein coeur de la capitale bretonne du fait des complexités du plan local d’urbanisme.
Jean Nouvel avait déjà présenté en 1983 un projet d’immeuble au même endroit avant que le terrain ne soit gelé. Son projet qui a remporté le concours organisé en 2010 par le promoteur Giboire est entièrement différent. « Ca ressemble beaucoup plus à ce que fait Jean Nouvel actuellement », explique Olivier Schmitt, conseiller de l’architecte.
Selon lui, l’auteur de l’Institut du monde arabe et le promoteur ont été pris totalement au dépourvu par la plainte des propriétaires. « On a présenté le projet aux voisins quand on a fait la conception du projet, personne ne nous a parlé de cette servitude de vue », assure M. Schmitt, qui souligne que le permis de construire a également été accordé sans que cette question ait été soulevée.
Dès le dépôt du référé, le promoteur a ordonné la suspension des travaux dans les 16 m² controversés, ce qui n’empêche pas la construction de se poursuivre dans le reste de l’immeuble. « On est désolés de cette histoire », assure le porte-parole de l’architecte, promettant qu' »on fera tout pour que ça se termine bien dans l’intérêt de tous ». « Des solutions techniques existent », ajoute-t-il.
Quant au promoteur, il promet qu’il « procèdera si besoin aux rectifications qui pourraient s’imposer », selon Nadège Trari, responsable communication de Giboire. En attendant, une petite moitié des appartements reste à vendre au Cap Mail, d’après Mme Trari.