Alexandre Dumas l'appelait son "paradis terrestre", un ravissant château avec vue sur la Seine baptisé, comme son héros, "Monte-Cristo".
Ce jardin d’Eden est aujourd’hui menacé par l’humidité et l’usure, et près d’un million d’euros sont nécessaires pour le sauver !
C’est un écrin romantique sur un coteau du Port-Marly (Yvelines), à l’ouest de Paris, agrémenté d’un parc foisonnant, de ruisseaux, de grottes artificielles… Un petit palais néo-Renaissance sorti en 1844 de l’imagination de l’auteur des « Trois Mousquetaires », face à un castel néogothique, le « château d’If« .
Mais, à y regarder de plus près, le tableau est moins idyllique. Le toit se fissure, « il pleut à l’intérieur par endroits en cas de fortes pluies ! », décrit la directrice des lieux, Frédérique Lurol. Il faut réparer les vitraux, les canalisations. Et surtout installer un système de drainage dans ce terrain gorgé d’eau, car l’humidité tue le château peu à peu : boiseries gonflées, peintures craquelées…
Le château d’If, cabinet de travail d’Alexandre Dumas, n’est pas en reste : fuites, lambrequins moisis… Il doit être entièrement rénové. Dans les trois hectares de jardins à l’anglaise, tout le système de fontainerie est à revoir.
En 1970, Monte-Cristo, alors propriété d’une société immobilière et très dégradé, avait échappé de peu à la démolition. Aujourd’hui, ces nouveaux travaux sont estimés à 921 000 euros.
La moitié de cette somme environ est acquise, sous forme de subventions publiques. Pour le reste, le syndicat intercommunal qui gère le domaine a ouvert, en février, une souscription publique auprès de la Fondation du patrimoine. Si elle rapporte au moins 5 % du montant des travaux, la fondation apportera des aides complémentaires – mais, en sept mois, seuls 17 576 euros ont été récoltés. Sinon, le syndicat devra s’endetter.
Quelque 21000 visiteurs ont admiré l’an dernier les façades de Monte-Cristo, son salon mauresque et le castel, classés monument historique. La vue sur la Seine dont jouissait Alexandre Dumas est, elle, bouchée depuis longtemps.
Monte-Cristo ? « C’est la plus royale bonbonnière qui existe », écrivit Balzac.
Alexandre Dumas l’avait fait construire en 1844, au faîte de sa gloire, auréolé des succès des « Trois mousquetaires » et du « Comte de Monte-Cristo ». Une « réduction du paradis terrestre », disait-il, pensée par l’architecte Hippolyte Durand. Il espérait y trouver la quiétude nécessaire pour poursuivre son oeuvre.
Au-dessus de l’entrée, son portrait. Plus haut, sa devise, « J’ayme qui m’aime ». Sur les clochetons, ses initiales. Sculpté dans les façades, au milieu d’une profusion merveilleuse d’oiseaux, de végétaux, d’armes ou d’instruments, son panthéon : les visages de Chateaubriand, Virgile ou encore Dante. Et, gravés dans la pierre rose du Château d’If, les titres de ses romans.
On trouvait à Monte-Cristo toute une « ménagerie humaine et animale », raconte Isabelle Safa, secrétaire générale de la Société des amis d’Alexandre Dumas. Amis et admirateurs côtoyaient chiens, poissons, singes, perroquets, chevaux – Athos, Porthos, Aramis – et même Diogène, un vautour.
On y croisait aussi de nombreux « parasites » venus chercher couvert et frisson mondain chez Dumas, lui qui disait laisser sur sa cheminée une coupelle remplie d’argent, relate Frédérique Lurol. Mais aussi des conquêtes : Dumas, qui « ne savait pas quitter une femme », pouvait entretenir « plusieurs liaisons en même temps ».
L’écrivain raconte avoir accueilli plus de 600 convives, la plupart accourus sans invitation, lors d’une crémaillère mémorable en 1847. Véridique ? impossible à dire, sourit Frédérique Lurol : « Ici, c’est vraiment le règne de l’imagination ». Trop généreux, trop aventurier, Dumas est incapable d’épargner. Un véritable « panier percé », décrit Isabelle Safa. En 1849, ruiné, il se résigne à vendre Monte-Cristo à un prête-nom pour une somme dérisoire, puis quitte définitivement les lieux en 1851.
Il meurt en 1870 chez son fils, bien loin de ce « paradis » fastueux hier, aujourd’hui décrépit.