Il a vécu pendant 50 ans dans une superbe maison anglo-normande sur les hauteurs de Dieppe (Seine-Maritime), avec vue imprenable sur la Manche. Mais un bout de falaise va s'écrouler et le vieil homme doit partir.

Willy Hocquet, 85 ans, stomatologiste à la retraite, vit l’amère expérience que connaîtront – tôt ou tard – ceux qui habitent sur les falaises particulièrement fragiles de la côte d’Albâtre, entre Le Havre et le Tréport, ainsi que celles qui les prolongent, en Picardie. Soit plus de 200 km de littoral.

L’octogénaire traîne son chagrin de devoir quitter ce site exceptionnel et de savoir que sa maison « so British », au riche intérieur de bois et de pierre, va être détruite pour éviter les squatters. « On ne va pas détruire ces boiseries de 1925, ces portes en chêne, ces cheminées … Ce serait de la barbarie », se lamente-t-il, appelant architectes, brocanteurs, collectionneurs, à venir récupérer les éléments de valeur.

M. Hocquet, comme tous les riverains de la route de Pourville, à la sortie ouest de Dieppe, savent qu’ils habitent dans un quartier menacé. Non seulement la falaise subit l’érosion par le bas avec des éboulements en bord de mer mais, sur le dessus, des poches souterraines de sable et d’argile gorgées d’eau de pluie gonflent au fil du temps et font éclater la falaise de craie.

A la suite d’une étude très précise du Bureau de recherche géologique et minière, effectuée fin 2015, avec forages et carottages, des habitants ont été quelque peu soulagés : leur maison pourra tenir encore quelques décennies. Les experts craignaient qu’une vingtaine de maisons ne soient condamnées. Pour l’instant, elles ne sont que deux à risquer de s’écrouler dans un délai de deux à dix ans. Celle de M. Hocquet et une autre, appartenant à une société civile immobilière (SCI), qui était louée.

Le déni du risque

En vertu de la loi Barnier de 1995 sur la « sauvegarde des populations menacées par certains risques naturels majeurs », la ville de Dieppe va racheter ces deux maisons et se fera rembourser par l’Etat. Montant du dédommagement: près de 500.000 euros pour la maison anglo-normande, quelque 200.000 pour l’autre, selon Luc Mangé, directeur des services techniques de la ville.

A plus long terme, le quartier va ressembler à un gruyère. Le terrain de M. Hocquet aura disparu mais sa maison de gardien, édifiée sur de la craie dure, va subsister…

De l’autre côté de la route, le terrain de rugby sera coupé en deux mais le lycée ne devrait pas être inquiété. Et la route de Pourville, déjà interdite aux gros poids lourds et placée sous surveillance constante, sera déviée.

Ces dernières années, les falaises de Dieppe et ses environs ont grondé. En 2012, une première maison du quartier était partie à la mer. En 2013, près d’Etretat, 30.000 tonnes s’étaient détachées, sans faire de victimes. Mais en août dernier, un éboulement sur la plage de Varengeville-sur-Mer, à 10 km à l’ouest de Dieppe, a emporté un pêcheur octogénaire.

L’érosion par le bas s’explique notamment par des prélèvements de galets dans le passé, pour la construction, alors qu’ils faisaient écran entre la roche et les vagues. Les infiltrations par le haut sont favorisées par l’urbanisation.

« On s’est approprié une frange côtière de façon un peu imprudente », estime Stéphane Costa, président du conseil scientifique du Réseau d’Observation du Littoral Normand et Picard (ROLNP).

A Dieppe ou ailleurs, les habitants vont-ils d’eux mêmes s’éloigner des falaises ou braver le risque ?

Selon une enquête citée par le ROLNP, « il existe de grands écarts entre l’appréciation des risques par les experts et la perception de ceux-ci par les usagers ». « Vivre au sein d’une commune littorale est d’abord perçu comme un privilège », ce qui explique « le rejet des changements comme la démolition et le recul des propriétés », selon le ROLNP.

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