Perchée sur une colline de Beyrouth surplombant la Méditerranée, une demeure rose aux arcades stylisées reprend vie grâce aux pinceaux d'un artiste britannique au milieu de la jungle de tours modernes qui l'entourent.
Dans la capitale libanaise dévorée par le béton, la « Maison Rose » figure parmi les joyaux architecturaux ayant miraculeusement échappé à la fièvre immobilière de l’après-guerre civile (1975-1990) qui a érodé à petit feu le patrimoine de ce que jadis fut une ville-jardin.
Visible depuis la corniche maritime de Beyrouth, jouxtant le vieux phare, cette villa du XIXe siècle d’inspiration ottomane et vénitienne paraît comme un anachronisme renvoyant au passé romantique de la capitale.
Il a fallu une rencontre improbable entre l’artiste britannique Tom Young et la dernière locataire, Fayza al-Khazen, pour qu’elle retrouve un pan de son glorieux passé, lorsqu’elle accueillait des personnages illustres comme le général De Gaulle. Des artistes, tel le peintre abstrait américain John Ferren, ami personnel de Picasso, y ont également vécu.
- Un conte de fées
« Cette maison, c’est un conte de fées », affirme Tom Young, artiste amoureux du Liban qui a convaincu le propriétaire de la transformer en centre d’art jusqu’à fin décembre. Il montre les faïences rares et les vitraux colorés ornant les arcades et déambule dans les chambres au papier peint exquis, un rien fané par le temps.
« Ces maisons uniques incarnent la culture et l’identité du Liban », ajoute Tom, originaire de Northamptonshire qui a étudié l’architecture islamique à Istanbul. « Elles renferment une sagesse qui doit être préservée », dit-il sur le balcon donnant sur un jardin luxuriant.
Se promenant un jour d’avril, Tom découvre qu’elle est habitée et fait la connaissance de Mme Khazen, dont l’illustre famille y a habité pendant 50 ans. Son frère Farid avait transformé la demeure en lieu de rencontres artistiques dans les années 1960 et 70, âge d’or du Liban. Lorsque cette femme cultivée de 71 ans lui offre un studio pour peindre, il saute sur l’occasion. Mais elle n’était que locataire et le propriétaire lui avait donné jusqu’à l’été 2014 pour quitter les lieux. « Je craignais que cette villa ne subisse le même sort que d’autres chefs d’oeuvre architecturaux », confie l’artiste.
Mais la chance lui sourit : le propriétaire Hicham Jaroudi, promoteur immobilier, accepte que l’artiste y expose ses oeuvres. « Cette maison vivra », affirme M. Jaroudi, qui l’a achetée il y a quelques années. « Elle sera rénovée et transformée en musée pour conserver le cachet historique de Beyrouth ». La capitale a déjà perdu une grande partie de ses demeures traditionnelles, dont le nombre a chuté de 1200 en 1995 à 400 en 2010.
- Liban, paradis et enfer
Commissionné en 2006 par une famille libanaise à Londres pour peindre leur pays natal, Tom est envoûté par une nation qui lui rappelle fortement une tragédie personnelle.
« J’étais fasciné par les contradictions du Liban : comment un pays peut être un tel paradis avec son goût de la vie et en même temps un tel enfer » avec une guerre civile de 15 ans.
« J’utilise l’art pour sauver ces lieux et trouver un moyen de les réutiliser ». « Je peins ce passé qui s’en va, ce sentiment de perte et en même temps cette résilience » bien libanaise, explique-t-il.
Sur le tableau « Years » (années), des déchets sur une plage symbolisent le « dysfonctionnement de l’Etat ». Sur une autre toile, la Maison Rose apparaît écrasée par des tours monstrueuses.
« Je veux que cet endroit soit visité par les gens de toute classe, religion et âge… Que les enfants viennent pour apprendre, pour rêver », dit Tom, qui organise également pièces de théâtre, concerts et danses.
Dans la villa, une vidéo exposée se fait l’écho du souhait de Fayza, la dernière locataire : « j’espère que si la maison est rénovée, cela sera un signe que le Liban se rénove aussi ».