Après dix ans de grands travaux, la cité phocéenne est en pleine mutation. Sa nomination comme capitale européenne de la culture 2013 devrait accélérer ce changement. Les attentes des Marseillais sont fortes.
Ces temps-ci, en débarquant à Marseille, ébloui par un soleil vissé à la verticale, le premier regard ne se porte plus sur la Bonne Mère.
Une flèche de verre l’a détrônée dans le paysage. « Un nouveau phare d’Alexandrie« , ose le maire Jean-Claude Gaudin, avec son sens de la formule légendaire. Zaha Hadid, architecte anglo-irakienne de renom, a signé cette construction vertigineuse de 150 m de haut, plantée dans le nouveau décor du Port autonome.
Jean Nouvel prépare la prochaine livraison : une tour-bureau de 130 m. Sur ses cartes postales, la cité phocéenne vendra bientôt davantage sa ligne de gratte-ciel que la fameuse histoire de la Sardine qui bouchait son Vieux-Port…
Si le Marseille de Pagnol n’existait déjà plus depuis longtemps, celui de Jean-Claude Izzo, le maître du polar solaire, est en train de disparaître. Du côté du quartier d’Arenc et des quais de la Joliette, la mutation tient de la métamorphose. Il y a quinze ans encore, ces lieux-là résonnaient du bruit des entrepôts glauques et des cales de radoub. Aujourd’hui, les grues ne déchargent plus seulement des cargos. Elles empilent les étages des immeubles design en front de mer.
A deux pas des ruelles populaires du Panier et de la gare maritime, le café de la Méditerranée partage désormais son trottoir avec une salle de sport bobo qui promet à sa clientèle du « sporting, taning, snacking » (sport, bronzage, et grignotage).
A l’heure où les bureaux débauchent, les jeunes cadres gominés côtoient les vieux Arabes enturbannés. Marseille, ça a toujours été ça : des cultures diverses, un ?cuménisme religieux, des communautés qui vivent ensemble sans trop de frottements. Une seule et même nationalité pour tous : marseillaise. Même si les récents travaux accentuent les contrastes… Le souk de Noailles, d’un côté de la Canebière, et de l’autre, les immeubles luxueux de la rue de la République. Une villa vendue 4,6 millions d’euros sur la Corniche et 27 % de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté (880 ?). Un tramway flambant neuf et des embouteillages légendaires…
Malgré tout, la plupart des Marseillais affichent en ce moment la mine réjouie des vainqueurs. Qu’ils soient originaires des défavorisés quartiers Nord ou de l’un des 101 autres villages qui constituent la géographie de la ville.
Primo, leur OM chéri s’offre un début de saison… honorable.
Secundo, la cité a ravi le titre convoité de Capitale européenne de la culture 2013, face à Bordeaux, Toulouse et Lyon. Fait historique : pour séduire le comité de sélection, Marseille la populaire s’est rapprochée d’Aix-en-Provence, sa rivale bourgeoise et cossue, mais aussi d’Arles et d’Avignon.
Retour sur les docks. Direction la Fiesta des Suds, valeur sûre des nuits marseillaises depuis seize ans. Dans ces hangars aménagés en chaudes bodegas, on pratique la biguine comme l’art de la tchatche, jusqu’au bout de la nuit.
« On est contents car il faut que cette ville bouge ! s’exclame Delphine, une habituée. Mais il faut savoir ce qu’on entend par ‘culture’ et définir à quoi vont servir les 98 millions du budget prévu. Un programme élitiste ? Une grande fête à fanions qui va faire ploc une fois de plus sur la Canebière, comme un pétard mouillé ? Ici, on a besoin de plus de lieux de concerts et de festivals comme la Fiesta ou Marsatac (électro). Du festif, du populaire mais aussi de la qualité ! »
« De toutes les villes candidates, c’est nous qui en avions le plus besoin, constate Frédéric juriste. L’offre culturelle n’est pas à la hauteur de ce qu’on peut espérer pour la seconde ville de France ! »
« C’est vrai, répond Cindy, Marseillaise depuis peu. Les propositions culturelles sont là, mais souvent elles manquent d’envergure. On aimerait sortir de la dimension régionale. »
Pour Jacques Corot, journaliste à La Provence, la ville possède les atouts pour répondre au désir de culture de ses 800 000 habitants. « Son identité méditerranéenne et cosmopolite nourrit la création artistique comme nulle part ailleurs. Marseille, ce sont aussi des lieux de création comme le Centre national des arts de la rue ou la Friche de la Belle de Mai qui ne se résume pas au studio de tournage de la série Plus belle la vie. Nos 40 théâtres sont pleins, tout comme l’Opéra ou les soirées d’été du festival de Marseille. »
Des deux côtés du Vieux-Port, les attentes sont fortes. En termes de retombées économiques aussi. On lorgne l’exemple de Lille 2004. « Un euro investi devrait en rapporter 6. » De quoi améliorer l’ordinaire culturel de cette ville dangereusement endettée (1,75 milliard d’euros pour un budget annuel de 1,6 milliard , plus 1,2 milliard d’euros de dettes pour la Communauté urbaine).
Plusieurs projets d’équipement qui patinaient, depuis plusieurs années, sont dans la corbeille de la mariée : un musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée, une Cité des arts de la rue, un multiplexe futuriste exploité par le réalisateur et producteur Luc Besson. Et une salle de spectacles de 2400 places dans l’ancien silo de la Madrague, déjà rebaptisé « L’Olympia marseillais ». Livraison prévue avant 2013. Où ? Toujours sur les docks, entre Arenc et le Vieux-Port. À deux pas des tours de verre, des soirées de la Fiesta des Suds et du café de la Méditerranée.
« Ces quais sont des lieux magiques de notre patrimoine. Ils concentrent toute notre histoire ! Ils deviennent un lieu de culture, on en rêvait !« , se réjouit Philippe, urbaniste.
Jean-Claude Izzo, lui, en perdrait son sud, revenu du paradis des faiseurs de polars. Et même son nord. Parée de nouveaux atours, la belle Méditerranéenne dont il a tant décrit les charmes négligés pourrait donc perdre son âme ? Qu’il se rassure Izzo. Comme il le disait, Marseille reste « la ville rebelle. La ville qui se mérite« .