PLUS BELLE LA VILLE. Le monde a "la folie des hauteurs" dénonce, dans le livre du même nom,Thierry Paquot, universitaire et éditeur de la revue Urbanisme. Tour d'horizon.

Tourellite aiguë. De tous temps, l’homme a voulu construire des tours, pour se protéger, manifester sa puissance, sa richesse. Selon l’expert George Binder, de Buildings Data, on dénombre 15 000 tours de plus de 200 m sur la surface du globe. La seule année 2007 compte 877 projets, dont 59% en Asie et 23% dans le Golfe. « Le monde vit une crise de ‘tourellite’ aiguë », juge Thierry Paquot.

L’effet 11-Septembre ? L’attentat terroriste contre les Twin Towers de New York, en 2001, a restimulé les architectes, note l’auteur de La folie des hauteurs. « D’abord pour montrer aux terroristes qu’on ne les craint pas. Dans le golfe Arabo-Persique, où l’entreprise Ben Laden domine le secteur du bâtiment, c’est aussi une façon de dire à l’Occident : on vous a dépassés. De même pour la Chine. »

A Paris aussi. « Après les propos du président Sarkozy et du maire, Bertrand Delanoë, tous deux favorables à l’édification de tours pour faire moderne, l’on doit s’interroger sur l’opportunité de miser sur des bâtiments coûteux, peu urbains et hors échelle de la ville. » Admirateur de New York ou de Chicago, Thierry Paquot assure qu’il n’aurait pas été contre la tour Eiffel au moment de sa construction. Mais monte au créneau contre « l’idée selon laquelle la tour est la panacée internationale, indépendante de la singularité des lieux ».

La tour détruit « l’intensité ». Les pro-tours disent que ce type de bâtiment améliore la densité. Pour Thierry Paquot : « Historiquement, la tour accompagne l’étalement urbain, l’autoroute, le centre commercial, l’air conditionné. Elle contribue au morcellement des territoires, s’oppose à l’intensité urbaine, pour reprendre une expression forgée en 1964 par l’urbaniste californien Melvin Webber. C’est-à-dire à la multiplication des interactions entre citadins. Pour moi, l’intensité urbaine nécessite des commerces de rez-de-chaussée, des parcours pédestres, une qualité de voirie, un certain confort urbain, incompatibles avec cet urbanisme vertical, autiste. »

Ecolo, la tour ? Des projets intègrent des proccupations écologiques, telle la tour Hypergreen de l’architecte français Jacques Ferrier, qui produirait l’énergie nécessaire à sa propre consommation. « Architectures de papier bardées de bons sentiments. C’est irréalisable, en l’état actuel de nos connaissances techniques. La tour consomme beaucoup d’énergie. Pour sa construction, d’abord (elle nécessite des matériaux sophistiqués : vitrages acier, bétons innovants). Pour son fonctionnement, ensuite. Les frais de chauffage, de ventilation, d’entretien sont importants. Ni une éolienne au sommet ni des panneaux photovoltaïques sur ses façades ne garantiront son autonomie énergétique. »

Un monde fermé. « Ajouté au loyer, le prix des charges pour un trois-pièces (de 500 à 700 ? par mois), rend inenvisageable la création d’un environnement socialement composite. La tour est un monde fermé qui peut facilement devenir une enclave résidentielle sécurisée tournant le dos à la mixité que toute ville appelle comme un espoir ‘civilisationnel’. »

Rêve d’architecte. L’érection d’une tour, c’est « le viagra des architectes de plus de 60 ans », ironise l’universitaire. Si ce bâtiment est, comme il le dit, obsolète, et ses partisans « d’arrière-garde », par quelle prouesse le remplacer ?

« De nombreuses réalisations combinent habitats individuels, petits collectifs, jardins, assurant à la fois l’intimité et la vie sociale, sans les désagréments de la tour. Ce sont des quartiers plutôt écologiques avant l’heure. Leurs concepteurs n’appartiennent pas au star-système… Je songe à Alexandre Chemetov, à Philippe Madec, à Patrick Bouchain, qui s’évertuent à ménager les lieux, à prendre soin des habitants, à s’imprégner des récits des territoires, des potentialités locales. Le monumental et le spectaculaire sont étrangers à cette architecture de l’hospitalité qu’il nous faut promouvoir. »

La folie des hauteurs, Thierry Paquot, 220 p, Bourin éditeur, 19 €.

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